L'UNESCO

Publié le par Théâtre Passion

Le site internet de l'UNESCO présente les principaux éléments du droit international de la culture.
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« Il faut s’interroger sur le contenu réel du texte » <br /> <br /> L’analyse de Serge Regourd, directeur de l’Institut du droit de la communication à l’université Toulouse-1 (1). <br /> <br /> Il souligne la convention de l’UNESCO est dépourvue du caractère juridiquement contraignant invoqué par ses promoteurs.<br /> <br /> La convention, que vient d’adopter, à une très large majorité, l’UNESCO sur « la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles », donne lieu à un concert de louanges et de satisfecits dans la plupart des commentaires politiques et de ceux des organisations professionnelles qui se sont battues depuis des années pour faire aboutir le projet d’un « instrument juridique contraignant » garantissant la diversité culturelle et supposé suppléer les fragilités de l’exception culturelle obtenue au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), voici un peu plus de dix ans... Cette convention est assurément vertueuse sur le terrain des proclamations politiques et symboliques et l’on peut en espérer un effet pédagogique auprès d’un certain nombre de gouvernements soumis aux demandes d’ouverture de leurs marchés par les États-Unis, soit dans l’enceinte de l’OMC, soit dans le cadre, plus redoutable encore, des négociations bilatérales. Mais se réjouir, au plan des principes, d’un texte qui échappe à la logique du tout-marché n’exonère pas de s’interroger sur son contenu réel. La rigueur juridique et l’honnêteté intellectuelle obligent à reconnaître que ladite convention de l’UNESCO est dépourvue du caractère juridiquement contraignant invoqué par ses promoteurs, et que, sur le terrain proprement normatif, les États membres de l’OMC se retrouveront demain dans la situation identique à celle dans laquelle ils se trouvaient précédemment : d’une part, rien ne leur interdit de prendre des engagements de libéralisation dans les secteurs culturels ; d’autre part, ils devront toujours invoquer une « exception » pour la culture afin d’échapper au principe de « libéralisation progressive » auquel ils ont souscrit en devenant parties à l’accord général sur le commerce des services (AGCS). Si la plupart des commentaires parviennent à occulter cette situation, sur le modèle de l’argumentation allégorique du ministre de la Culture, c’est au prix d’une évacuation pure et simple du contenu même de ladite convention. La seule référence faite à ce contenu dans le commentaire public dominant consiste à retenir qu’aurait été inscrit dans le droit international le principe selon lequel les oeuvres d’art et de l’esprit ne peuvent être considérées comme des marchandises. Une telle présentation est, hélas, inexacte. Outre l’approximation juridique traditionnelle visant les « marchandises » alors qu’il s’agit évidemment de « services », le texte de la convention ne recourt pas à la terminologie des oeuvres mais à celle des « activités, biens et services culturels » pour indiquer qu’ils ont une double nature économique et culturelle... et qu’ils ne doivent pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale... » (préambule).<br /> <br /> Mais l’essentiel est ailleurs : dans le fait que les logiques d’« obligations » à la charge des parties à la convention, initialement retenues, ont totalement disparu, au profit de « mesures » que « chaque partie peut adopter » pour « protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur son territoire ». La manière dont ces mesures sont elles-mêmes identifiées est tout aussi significative. Les « quotas » de diffusion d’oeuvres nationales, ou européennes, qui ont été au coeur de la bataille de l’exception culturelle, aussi bien que la négociation de la- - directive communautaire « Télévision sans frontières », ont également disparu de la version adoptée. La modification de l’article 6 qui les concernait est à cet égard un modèle de byzantinisme juridique et de calamité stylistique : il s’agit désormais des « mesures qui, d’une manière appropriée, offrent des opportunités aux activités, biens et services culturels nationaux, de trouver leur place parmi l’ensemble des activités, biens et services culturels, disponibles sur son territoire... ». Et que penser des ambiguïtés de l’article suivant encourageant les mesures qui visent « à développer et promouvoir le libre-échange et la libre circulation des idées et des expressions culturelles... et à stimuler la création et l’esprit d’entreprise... » ?<br /> <br /> On comprend dans ces conditions que la question des droits de la propriété littéraire et artistique soit absente de ce texte alors qu’elle est au coeur des enjeux culturels en cause, car les sociétés d’auteurs ont eu la sagesse et l’intelligence d’en apercevoir vraisemblablement les risques d’effets « boomerang » au regard des législations nationales et du traité OMPI.<br /> <br /> On comprend, surtout, les graves carences du texte sur le terrain du mode des règlements de conflits : contrairement aux logiques unilatérales contraignantes du droit de l’OMC, la convention en reste, logiquement, aux vieux modes de règlement diplomatique. Comment imaginer, en effet, la sanction d’obligations que la convention ne prévoit pas ?... On pourrait encore relever dans le même sens les modalités de financement du « fonds international pour la diversité - culturelle » renvoyant pour l’essentiel aux « contributions volontaires » des - parties...<br /> <br /> Il ne s’agit pas ici de jouer les Cassandre mais de bien mesurer les lourdes carences de ce texte afin de ne pas lui prêter une portée de protection, à l’égard des accords de l’OMC, dont il est dépourvu.<br /> <br /> L’article 20 retient, selon une formulation classique, garante de la sécurité juridique des relations internationales, que « rien dans la présente convention ne peut être interprété comme modifiant les droits et obligations des parties au titre d’autres traités auxquels elles sont parties ».<br /> <br /> Au regard d’un tel principe, la clause transversale selon laquelle « lorsqu’elles interprètent et appliquent les autres traités auxquels elles sont parties (...) les parties prennent en compte les dispositions pertinentes de la présente convention » est de peu de poids eu égard précisément au contenu spécifique des dispositions en cause...<br /> <br /> Certes, les acteurs culturels sont plus sensibles aux envolées rhétoriques qu’aux exigences de l’analyse normative, mais le réalisme du présent n’est-il pas le meilleur antidote contre les désillusions du lendemain ?<br /> <br /> (1) L’Exception culturelle, de Serge Regoud, Presses universitaires de France. 2004.<br />
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